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Nouvelles

Recueil LA FEMME SAUVAGE - 155 pages 

13 nouvelles autour du thème de la fragilité de l'instant. Instants de femmes. Instants de regard. Instants de vie.

AVANT-PROPOS

 

Là-bas c’est la mer.

Je veux dire que la mer recouvre l’étendue des lieux où je ne suis pas. Mon corps précaire est ainsi dans le monde comme une île.

 

La mer ne pose pas de questions, elle est là. C’est une vertu qui n’appartient jamais à ce qu’on vit. Elle est le miracle de l’évidence. Une chose est sûre pour moi : ce miracle existe quelque part, c’est une nécessité qu’il existe pour que j’avance.

Et de la distance je peux dire que j’en ai fait beaucoup. Je viens de loin, plus loin j’irai. En kilomètres, une vie c’est impressionnant.

 

Et puis il y a les lieux, tous les lieux où s’est posé ce corps. Lieux, paysages, pays. J’ai traversé des pays et aujourd’hui je suis ici. Ici, maintenant, ce soir. On ne s’étonne jamais assez de ne plus être où l’on a été. Ici, c’est une ville de France, une maison, une fenêtre, un ciel derrière cette fenêtre, un ciel que peut-être j’ai déjà rencontré dans l’infinie variété des formes du monde, avec cette fraîcheur triste, ce blanc cassé de gris, cette indifférence flottante. Ici, c’est ce peuplier qui penche une flamme verte sous la pluie discrète du dimanche. Presque rien.

Et le reste, les autres, tous les lieux d’avant, les lieux perdus ? Le temps passé on s’en accommode, on l’a dans sa mémoire - un peu -, on croit qu’il vous suit plus ou moins. Mais l’espace ? Un jour pourtant on sent la distance dans son corps. C’est même ce qui compte le plus. Ce qu’on a fait entre ce point et un autre n’est pas l’essentiel. Peut-être n’y avait-il pas d’autre but à ce parcours que d’aller, tout simplement ?

 

Le miracle, pourtant, est celui-ci : je suis encore dans tous les lieux où je ne suis plus. Pas plus que le temps, l’espace ne se découpe. Et d’une certaine façon, en avançant, on ne bouge pas.

Ici, dans toutes les fibres de mon corps sont les paysages d’ailleurs. Pas une forme, pas une couleur, un mouvement, une sensation qui ne soit moi quelque part. Et c’est la mémoire la plus mystérieuse.

Ici je suis, avec mon corps de femme qui parcourt obstinément sa distance de monde. Dans ce désir qui creuse un lit pour la mort.

 

De loin je viens, plus loin j’irai. La mer immobile c’est toujours ailleurs. L’innocence de vivre. La terre se creuse, se dresse, s’enfuit, se repose, bondit. Elle est humaine. Et les hommes le savent qui s’accouplent avec elle. Ils l’habillent, la défont, vont en elle, la déforment, construisent des maisons, des villes, des canaux, des montagnes de déchets, ils font tout ce qui leur vient sous la main au rythme de l’amour agité qu’ils ont pour elle.

La mer, c’est autre chose. Sur la plage, on la regarde. Et tout ce qu’on peut penser c’est qu’elle existe. Elle roule d’un bord à l’autre de la fosse qui la contient. C’est tout. 

 

Or les lieux où j’ai vécu ont un point commun : tous la mer les inachève.

Pour moi qui très tôt n’ai connu du Temps que sa menace de finir, du lieu que sa menace d’être quitté, au bord du pays où je vivais, la mer c’était toujours à la fois mon futur et mon passé. Une vague m’avait posée là. Une autre me reprendrait. 

Les maisons où j’habitais étaient sur le rivage. Alors, tous les jours, sous les yeux, j’avais l’étendue du Temps, promesse et mélancolie. C’est ainsi que pour moi la pierre des murs ne tisse pas la continuité des jours mais leur précarité. Là, au bord de l’Océan, dans sa rumeur, un coup de vent, une lame, pouvaient les enlever. Hasard du monde, hasard du temps, j’étais en instance. 

 

Mais il arrive qu’on tresse avec plus de force les liens qui seront rompus. Je n’ai jamais connu que l’amère avidité du présent.

Il me semble aujourd’hui que chacun de ces lieux m’a prêté son identité et que chacun d’eux a nourri la croissance d’une enfant différente. Peut-être chaque départ fut-il ainsi une nouvelle naissance. J’en ai le souvenir déchirant et doux. Chacune de ces enfants fait en moi une femme imaginaire et inachevée, une série de femmes interrompues dont je porte la marque charnelle, intense et inaccessible.

 

Nulle parole ne s’élève sans l’ombre de sa chair. C’est à cette source que puise en moi le désir d’écrire.

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- LA FEMME SAUVAGE - 155 pages

13 nouvelles autour du thème de la fragilité de l'instant. Instants de femmes. Instants de regard. Instants de vie.

 

 

 

 

 


EXTRAIT 

Soudain il revit le kaléidoscope qui enchantait ses heures d’enfant malade lorsqu’il guettait, dans le désir et l’angoisse, le retour d’une figure qui l’avait ébloui. Il ne l’avait qu’entrevue, le plus léger tremblement de la main suffit, en déplaçant les cristaux de couleur, à créer une autre forme aussi fragile et éphémère. Il attendait, espérait, mais jamais ne revenait celle pour laquelle son âme d’enfant s’était éprise d’un amour démesuré, et il tournait et retournait le kaléidoscope. Sans doute fallait-il faire de même avec l’écriture. Mais comment savoir s’il n’écrivait pas toujours la même phrase ? Un autre que lui pourrait-il la lire ? Est-ce que cette courbe musicale, long fleuve doux qui l’entraînait, ne lui échappait pas continuellement ? Ce qu’il avait à dire était-il devant ou derrière lui ? L’avait-il déjà dit, mal dit ou omis ? Si la figure aimée était déjà parue, alors il avait peu de chance de la retrouver, il ne pouvait qu’en moduler à l’infini les variations, tourner autour, faire une longue phrase, longue périphrase finalement, et qui contenait sans doute, mais il ne le saurait pas, le long, lent et laborieux désir d’écrire qui avait couvé l’œuvre. Tout au fond du kaléidoscope, le désordre des cristaux contient l’infinité des configurations possibles. Lui sans doute ne verrait jamais qu’une feuille blanche.

Mais il se dit que c’était sans importance.

Et il continua.

LE KALEIDOSCOPE - 82 pages

Des personnages  perdus dans leur vie et leurs rêves, leurs souvenirs et leurs obsessions où domine derrière la fantaisie un monde de l'absurde et du dérisoire.

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